Plus de dix jours après les premières manifestations, la contestation ne faiblit pas. Alors qu'un million de personnes ont défilé dans les rues brésiliennes, jeudi 20 juin, les expatriés fourbissent leurs slogans. Initialement prévue place Saint-Michel à Paris, avec l'ambassade du Brésil en ligne de mire, la manifestation des Brésiliens vivant en France se déroulera finalement samedi place de la Nation, sur ordre de la préfecture, en raison du millier de personnes attendu. En France comme au Brésil, les appels à la mobilisation se sont répandus comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
"Nous avons créé un groupe de soutien aux manifestants avec deux amies, vendredi dernier à 16 heures. Le soir-même, plus de 1 000 personnes s'étaient inscrites", s'étonne encore Fernanda Villar, 27 ans, étudiante en littérature comparée, arrivée en France il y a cinq ans en provenance de São Carlos. "Il est important d'exprimer notre solidarité aux manifestants et de leur montrer que tous les Brésiliens, même expatriés, sont concernés", explique José Luiz Neves, un des organisateurs du rassemblement, étudiant en philosophie à la Sorbonne."TOUT S'EST ORGANISÉ SUR FACEBOOK..."
Cette mobilisation étonne. La communauté brésilienne en France compte environ 25 000 personnes, mais "elle n'est pas regroupée ou unie, comme peut l'être la communauté portugaise", note Lamartine Bião Oberg, 69 ans, président de l'association Bião pour la diffusion de la culture brésilienne. Tout juste se retrouve-t-elle, quelques fois par an, autour d'un événement musical ou sportif. La plupart des expatriés se fondent dans la société en raison des "nombreux mariages mixtes", et les étudiants, de passage, ne sont pas un ciment communautaire suffisant.
Ici comme au Brésil, les manifestants ne répondent pas à un appel syndical, une association étudiante ou un parti politique, et "c'est ce qui plaît à tout le monde dans ce mouvement", avance Stefania Apuzzo, 26 ans, étudiante en master de coopération artistique internationale à l'université Paris-VIII arrivée en France il y a neuf mois, pour expliquer la rapide et massive mobilisation. "Nous allons nous retrouver juste avant le rassemblement samedi, mais sinon, tout s'est organisé sur Facebook et par mails", précise-t-elle.
Une constante dans les dernières révoltes, de Tunis à Istanbul en passant par Tripoli, même si chacun se garde de faire un rapprochement : "Le Brésil est une démocratie", tranche Lamartine Bião Oberg, qui évoque "une crise de croissance d'un jeune pays plutôt qu'une volonté de renverser un régime". Karina Tavares, 36 ans, à Paris depuis neuf ans, qui travaille pour une entreprise d'applications mobiles pour le sport, admet toutefois que les "échanges entre les internautes brésiliens et turcs sont nombreux depuis le début des manifestations". Avant de repartir au Brésil, la semaine prochaine, elle sera bien présente, avec son fils, à la manifestation parisienne.
FRUSTRATION DE NE PAS ÊTRE AU PAYS
Tous expriment également leur "frustration" de ne pas être sur place, chez eux, pour participer aux manifestations. "Il y avait 30 000 personnes à Belo Horizonte !", ville dont il est originaire, s'étonne encore Diogo Amara, qui a improvisé à Lille un rassemblement sur la Grand Place, mardi 18 juin. "L'ampleur des manifestations a surpris tout le monde", abonde José Luiz Neves. Chacun compte au moins un membre de sa famille, un ami ou une connaissance, qui participe aux manifestations. "J'ai des amis qui ne sont pas politisés, qui ne se sont jamais engagés, que je vois se mobiliser pour la première fois", s'enthousiasme Fernanda Villar. Des amis jeunes, et pour la plupart "issus de la classe moyenne", comme eux.
La communauté brésilienne en France ressent une grande fierté de voir le monde les yeux rivés sur leur pays pour des sujets qui ne font pas partie du saint triptyque Football-Samba-Favela. L'image d'un "peuple humble, pacifiste, voire indolent, peu habitué à manifester" est battue en brèche. Il leur a donc semblé naturel de participer au mouvement, même à des milliers de kilomètres de leur patrie natale. "Nous voulons construire un vrai pays, et pas simplement une image à destination de l'étranger, comme le font les politiques", poursuit Stefania Apuzzo. Silvana Conte, 48 ans, journaliste indépendante basée à Montpellier, se remémore ainsi la grande manifestation de 1984 à laquelle elle avait participé, pour demander des élections directes, avant la chute de la dicatature militaire. Autre temps, autres revendications, mais "même fierté".
"UN PETIT COUP DE PEINTURE SUR LE MARACANA AURAIT SUFFI"
Reste à se mettre d'accord sur un "agenda commun", précise Fernanda Villar. Les revendications sont en effet diverses et variées. La hausse du prix des transports en commun, sur laquelle les grandes municipalités sont depuis revenues, alors que "les conditions de vie dans les grandes villes sont épouvantables et que certaines personnes mettent quatre heures pour aller au travail", le piteux état du système de santé et d'éducation, la répression policière, "cette police militaire, héritage de la dictature, mal entraînée, mal payée", le coût de l'organisation de la Coupe du monde, alors qu'"un petit coup de peinture sur le Maracana aurait suffi".
Lire aussi (édition Abonnés) : Au Brésil, le Parti des travailleurs a perdu le soutien de la nouvelle classe moyenne
Le mécontentement ne se cristallise pas non plus autour d'un nom. La présidente, Dilma Roussef,
a d'ailleurs été relativement épargnée. Son parti, éclaboussé par des
scandales de corruption, un peu moins. Mais les manifestants expriment
avant tout "un rejet de la classe politique dans son ensemble", juge Lamartine Bião Oberg, et seront très "vigilants contre toute tentative de récupération politique", avertit José Luiz Neves. Une seule certitude : "la nécessité d'avoir un discours à la fois libre et cohérent, et de cibler nos revendications", avance Stefania Apuzzo.Paris ne sera pas la seule grande ville où les Brésiliens expatriés se retrouveront pour exprimer leur soutien aux manifestants. Londres, Lisbonne, Porto, Amsterdam, Sydney, New York, Montréal... le week-end sera marqué par des manifestations de Brésiliens éparpillés de par le monde. "Le géant se réveille", conclut, dans un sourire, Fernanda Villar
0 Comentários